La littérature avec MAYVTH

 

 

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Jean RASPAIL "Adios Tierra del Fuego"

Editions Albin Michel

 

 

 

Lièvre de Patagonie

 

     Avec "Adios Tierra del Fuego", Jean Raspail troque sa plume de romancier pour celle d'historien. Il nous entraîne dans une de ses régions de prédilection: la Patagonie, avec des peuples dont l'origine remonte à plusieurs millénaires. Venus d'Asie, ils traversent à pied sec ce qui est aujourd'hui le Détroit de Béring. Au fil des temps, au gré des vagues d'émigrations, les différentes populations glissent toujours plus au sud. Alakalufs et Yaghans, chasseurs marcheurs, se retrouvent au sud du continent Américain où, adaptation naturelle oblige, ils construiront des canots pour pêcher et évoluer dans ce qui deviendra le détroit de Magellan. Parfaitement pacifiques, ils devront affronter les premiers navigateurs à la recherche du cap Horn. Le pire, ce sont les colons qui, au nom du Christianisme, précipitent la perte de ces peuples parmi les plus vieux de l'humanité.

     

  Cependant, quelques explorateurs ont su composer intelligemment avec eux. Entre autres, le Commodore sir John Bryon qui, après un naufrage en 1741, accepte les coutumes ancestrales et va vivre pendant deux ans, épousant même une indienne, exactement comme les Alakalufs. Ses compagnons qui refusent de vivre nus, le corps recouvert de graisse de phoques, seront massacrés.

Eléphant de mer

   Au fil du récit de Jean Raspail, nous assistons à l'extinction, jusqu'au dernier, des Alakalufs et des Yaghans, obligés de changer de mode de vie, chassés de leurs territoires naturels par les chercheurs d'or, surtout décimés par les épidémies véhiculées par les colons. Au passage, Raspail fustige Darwin pour qui, tout ce qui n'est pas Européen est vulgaire sauvage. Beaucoup de réfugiés d'origine germanique vont trouver asile dans ces contrées difficiles où la densité de la population est de 0,1 habitant au kilomètre carré sur une superficie de plus de deux fois la France.

 

Dans la deuxième partie de ce récit, nous retrouvons Antoine de Tounens qui a déjà valu à Jean Raspail le Grand Prix du roman de l'Académie Française en 1981. Cette fois, il aborde ce personnage sur sa face historique. Antoine de Tounens a resurgi de l'oubli en 1971 lorsque le Président Georges Pompidou vient donner le coup d'envoi d'une campagne scientifique de la Jeanne d'Arc, en Terre de Feu. Lors du banquet servi à bord de la Jeanne, le Président lance au Pacha interloqué: "N'oubliez pas de saluer mon cousin Orélie Antoine 1er roi de Patagonie".

Manchot de Patagonie

   Antoine de Tounens, né en 1825 à Chourgnac près de Tourtoirac (Dordogne), décède en ce village en 1878. Personnage attachant, certes roi éphémère, mais pugnace et obstiné, Antoine tentera d'aller au bout de ses rêves. Après une foule de péripéties, il parviendra effectivement en Patagonie où il fédèrera pendant une quinzaine de jours, des tribus indiennes en mal d'indépendance, mais hélas avinées par l'alcool largement utilisé comme monnaie d'échange par des trafiquants sans scrupules. Cette aventure se terminera dans les geôles argentines et un rapatriement d'office vers la France. Deux autres tentatives, notre Périgourdin a de la suite dans les idées, lui vaudront également un retour rapide à la case départ, sans pouvoir prendre contact avec son "peuple".

    Il termine sa vie, ruiné et malade, à Tourtoirac, où il sera la risée des enfants, les jours de Mardi Gras. Mais Antoine de Tounens a mis de son côté tous les chercheurs d'idéal. Au delà de la dérision, il reste le rêve de l'inaccessible et de l'imaginaire, pain béni pour les romanciers.

   Orélie 1er meurt sans postérité, mais le royaume de Patagonie ne restera pas sans souverain. Cependant, les prétentions de ces rois d'opérette ne dépasseront pas les limites de leurs salons parisiens. Les médailles de pacotille, les titres ronflants n'abuseront que quelques gogos, au rang desquels figurent les Etats Unis qui, lors de l'élection du Président Cleveland en 1889, effectuent sans sourciller le traditionnel échange de félicitations et remerciements avec le Royaume de Patagonie.

 

   Cet ouvrage se termine par un brillant exploit que signe Jean Raspail et quelques amis qui s'identifient pleinement à l'image de l'unique souverain de Patagonie. Ils vont déposer un ultimatum à l'ancienne adresse de l'ambassade de Grande Bretagne à Paris, demandant, en 1984, aux Anglais d'évacuer les îles Falkland, ce qui ne fut bien sûr pas fait, "l'ultimatum" n'ayant sûrement pas franchi la loge de la concierge.

Stèle funéraire d'Antoine de Tounens à Tourtoirac (Dordogne)

 

   Par mesure de rétorsion, au nom d'Orélie Antoine, nos "conjurés" investissent l'Archipel des Minquiers dans les îles anglo- normandes. Le drapeau patagon, bleu blanc vert , est hissé au-dessus de l'Union Jack. L'archipel est aussitôt rebaptisé Patagonie Septentrionale. Dès l'exploit accompli, la presse est informée. Madame Thatcher, Premier Ministre britannique, n'apprécia pas du tout l'opération qui provoqua quelques remous dans les chancelleries. Ce coup de main sera renouvelé en 1998 et, lorsque le Consul Général de Patagonie, Jean Raspail, remit le pavillon britannique enlevé la veille de sa hampe dans l'achipel des Minquiers, au premier représentant de l'Ambassadeur, celui-ci demanda fort diplomatiquement quels étaient les projets d'avenir du Royaume de Patagonie.

 

   Un livre magnifique, plein d'humour, bien documenté, une passerelle pour le rêve vers la terra incognita, le pays d'Antoine de Tounens, Orélie 1er, Roi de Patagonie pour l'éternité.

 

 

 

 

Les gorges de l'Auvézère près de Tourtoirac (Dordogne)

 

 

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